14.3.11


Les Américains
Robert Franck & Jack Kerouac


Cette folle sensation d'Amérique dans les rues torrides quand la musique sort du Juke-Box ou du funeral d’à coté, c’est ce que Robert Frank a capté dans les clichés étonnant pris en parcourant les quarante-huit Etats, pratiquement, au volant d’une vieille voiture d’occasion (grâce à une bourse Guggenheim); il a photographié avec agilité, sens du mystère, génie, et avec la tristesse et l’étrange discrétion d’une ombre, des scènes qu’on n’avait encore jamais vu sur la pellicule. De quel grand art il fait preuve ici, on va le reconnaitre une fois pour toute.
Vous regardez ces images et à la fin vous ne savez plus du tout quel est le plus triste des deux, un juke-box ou un cercueil - parce qu’il est toujours en train de prendre des juke-box ou des cercueils - ou des mystères intermédiaires, tel ce prêtre nègre agenouillé pour des raisons à lui sous cette brillance liquide, ce boyau de mer du Mississipi, à Baton Rouge, c’est le soir ou la pointe de l’aube, il a une croix d’un blanc de neige et des incantations secrètes que personne ne connait en dehors du bayou - ou cette image d’une chaise dans un café avec le soleil dans la fenêtre et qui vient se mettre sur cette chaise en un halo sacré et je ne pensais pas qu’on pouvait prendre en photo des choses que les mots décrivaient encore beaucoup moins bien, dans leur intégrale splendeur de visible. Le goût, la tristesse, le côté ça-ou-autre-chose, l’américanité de ces images! Le grand cow-boy mince qui se roule un mégot devant Madison Square à New York, à l’époque du rodéo, triste, interminable, incroyable - Ce long coup de la route de nuit filant en flèche éperdue dans les immensités plates d’une Amérique à-ne-pas-le-croire au Nouveau Mexique sous une lune pour prisonnier - sous les coups de guitare des étoiles. Ou la vieille bonne femme hagarde de Los Angeles, désoignée, se penchant à travers la vitre avant de la voiture de grand-pa, curieuse, c’est dimanche, la bouche béante pleine de commentaires pour expliquer l’Amérik’ aux gosses sur la banquette arrière éclaboussée - Le gars tatoué qui dort sur l’herbe dans un parc de Cleveland, ronflant à mort au monde un dimanche après midi rempli de ballons et de voiliers - Hoboken New Jersey en hiver, une plate forme bourrée de politiciens qui ont tous l’air convenu jusqu'à ce qu’au bout à droite vous en voyiez un la bouche en cul de poule mâchant une oraison politico (il réprime un bâillement sans doute) tout le monde s’en fiche - Un vieil homme debout hésitant sur une canne de vieux sous un vieil escalier depuis longtemps descendu - Un dingue siestant sous un drapeau-housse sur un siège d’auto épave dans une fantastique arrière-cour à Venice Californie, je pourrais m’y asseoir et jeter trente mille mots sur le papier (quand j’étais cheminot serre-frein, on frôlait des arrières cours comme ça en se penchant depuis le vieux bastringue à vapeur). Robert ramasse deux stoppeurs et leur passe le volant la nuit, et les gens regardent les deux visages, leur air sinistre tendu dans la nuit (ça me rappel Allen Ginsberg : «des anges visionnaires indiens qui étaient des anges indiens visionnaires») et les gens disent «Ooh, quelle sale gueule» mais, eux, tous ce qu’ils veulent, c’est s’enfiler la route et retourner au pieu - Robert est là pour nous le dire - Saint Petersburg Floride les vieux types à la retraite sur un banc dans le trafic de la grande-rue, appuyés sur leurs cannes, causant de sécurité sociale, et une espèce d’incroyable bonne femme séminole, je dirais, à moitié négresse, tirant sur sa cigarette perdue dans ses pensées, elle est pure cette image comme du plus beau solo ténor de jazz.. Ces figures ne font pas de proclamations ni de commentaires, ni ne disent autre chose que «Voila notre façon d’être dans la vie réelle, et si vous n’aimiez pas ça, je ne veux pas le savoir parce que je vis ma vie à moi, à ma manière et que Dieu nous bénisse, espérons..» «si nous le méritons..»
Quel poème tout ça, et quels poèmes pourra écrire un jour avec ce livre d’images un jeune écrivain défoncé penché sur elles à la bougie pour en décrire chaque mystérieux détail noir et blanc, ce film gris qui a saisi a point le jus bien cuit de l'espèce humaine, si c’est le lait de l’humaine-ité ou de l’humaine bonté selon Shakespeare, aucune importance que vous regardez ces images. Mieux qu’un show.
Routes insensées qui vous emmènent tout droit - routes à la folie, routes de solitudes, qui vous jettent après le virage à l’ouvert d’espaces jusqu’à l’horizon des neiges de Wasatch promises dans la vision de l’Ouest, haut d’épineux du bout du monde, nuits d’étoilées, en bleu Pacifique - lunes bananes désossées en pente sur le fouilli du ciel nocturne, tourments de grandes formations avec brumes, et l’insecte invisible qui fonce à pleins feux - la faille crue, les stries, la butte, l’étoile, le ravin, le tournesol dans l’herbe - déserts orientaux d’Arcadie à grandes buttes orangées, sables perdus de la terre écartée, expositions de rosée à cette infinité de noir espace, séjour du crotale et du gopher - niveau de monde, bas et plat: la charge inlassable de la route sourde butée qui scande à grands coups plaintifs dans la capote sa puissance de frayer, la surprise en vers de fabuleux lopins fonciers, et les fossés des bas-cotés sous le regard. D’ici à Elko à ras de ces parallèles effilées avec les poteaux téléphoniques, je peux voir un insecte qui joue dans le soleil - Vroum! Tape toi une cavalcade qui enfonce les plus rapides trains de marchandises, fume à en battre le record, trouve-toi une paire de cuisses, dépense ta liqueur, mets les voiles et baise l’étoile du matin dans le matin d’un verre - route de folie qui vous emporte droit devant. Fines traces au crayon de nos désirs les plus vagues fondus dans le voyage de l’horizon, un nuage fouineur s’offusque dans une patauge de distance indicible, le troupeau galeux des nuages s’accroche en parallèle aux vapeurs de CBQ. En rangs serrés les rocs du Petit Missouri hantent les badlands, roulis durs de campagne sèche noire sous la lune avec des reflets de culs de vaches, les poteaux étendent le temps «pointilant l’immensité» le passager cinglé de la voiture solitaire rue son ardente insignifiance à plaques minéralogiques dans la vaste promesse de vie. Amérique, draine tes bassins de Vieil Ohio dans les plaines d’Indin’ et d’Illino’, ramène tes Grandes Boueuses à travers Kansas et mudlands, Yellowstone dans le Nord gelé, fais des trous de lacs à la Floride et L.A, dresse tes villes dans la plaine blanche, entasse tes montagnes, ton soleil éblouis l’Ouest, l’Ouest paré à coups de vaillants-à-pics en haies à des hauteurs de gloire prométhéenne - loge tes prisons dans le bassins lunaire de l’Utah - donne du coude aux territoires paumés du Canada qui finissent en baies arctiques, emmaille tes côtes mexicaines, Amérique, nous rentrons chez nous, chez nous!
Gisant sur son oreiller de satin dans le bruit terrible de la mort, c’est l’Homme, un noir, la file triste des condoléants venus jeter un oeil à la Sainte Face pour voir à quoi ressemble la mort et la mort est comme la vie, quoi de plus? - si vous vous rappelez ce que disent les Soutras - Convention à Chicago, avec cette onctueuse importante de chef syndicaliste embobineur à voix basse cigare en main gras comme Néron avide comme César, dans le bruit de bière tonitruant du hall et qui s’incline en apparté - Table de jeu à Butte-Montana avec les affiches électorales en arrière fond et les petits bidules de jeu à renverser, tout un édito déja! Une voiture enveloppée dans une bââche profilée de luxe (oui j’ai connu un routier qui prononçait bââche) pour empêcher la crasse de Malibu-la-sans-crasse de tomber sur cette affaire toute neuve passée à la peau de chamois tandis que son propriétaire qui est charpentier à cinq dollars de l’heure somnole dans la maison avec son épouse et TV, tout ça sous les palmiers pour pas un rond dans cette nuit de Californie cimetierieuse (aïe!) - En Idaho, trois croix sur les lieux de l’accident de voiture, où ce long cow-boy en était presque venu à bout du voyage à Madison square Garden à un kilomètre peut-être alors de route encore - «je t’ai dit d’attendre dans la voiture» disent les gens en Amérique, du coup Robert se glisse et photographie les gosses qui attendent dans la voiture, trois garçonnets dans une limo motorama, pompeuse somptueuse, ou bien ces pauvres gosses qui ne peuvent tenir les yeux ouverts sur la route 90, Texas, 4 heures du matin, quand Papa va aux buissons en s’étirant - Les monstres à essence en station sur les plats du Nouveau-Mexique sous l’énorme enseigne «SAUVER» - Le beau petit bébé blanc dans les bras de sa nurse noire tous les deux ravis, célestes, une photo qu’on aurait dû agrandir et suspendre dans les rues de Little Rock pour montrer l’amour sous notre ciel et dans le sein de notre mère univers - Et le portrait de la plus grande solitude qu’on ait jamais tiré, ces urinoirs que les femmes ne voient jamais, avec le coin du cireur fonctionnant pour une éternité de tristesse. Oh! lala! rafale sur les fleurs du cimetière chinois sur une colline de San Fancisco travaillée par un brouillard presse-purée dans la nuit de mars, pas un chat dehors par ici - excepté...? S’il y a quelqu’un qui n’aime pas ces images c’est qu’il n’aime pas la poésie, on dirait, et s’il y en a qui n’aiment pas la poésie, qu’ils rentrent chez eux et se tapent la télé des cow-boys à larges bords avec ces braves chevaux qui les tolèrent.
Robert Frank, suisse, discret, gentil, avec cette petite caméra qu’il fait surgir et claquer d’une main, a su tirer du coeur de l’Amérique un vrai poème de tristesse et le mettre en pellicule, et maintenant il prend rang parmi les poètes tragiques de ce monde. A Robert Frank je passe le message: quels yeux!


Quand j’ai découvert ces images de Robert Frank, je ne savais pas,j’étais tout à fait naïf, je ne savais pas qu’il était suisse, je ne connaissais pas du tout sa trajectoire, mais j’ai retrouvé dans ces images simples, élémentaires, qui ne mentaient pas quelque chose que je lisais beaucoup chez Kerouac et aussi chez Ginsberg : cette volonté de montrer une espèce de réalité qui est à l’inverse des médias américains et l’inverse de la littérature américaine telle que je la connaissais à l’époque - c’est à dire tout ce qui n’était pas la beat generation - et je sentais que la beat generation apportait quelque chose de nouveau. Quand Ginsberg dit « il faut que les gens apprennent à faire confiance à leur sensation» je pense que c’est quelque chose de très simple mais qui en même temps résume bien l’état d’esprit de ces écrivains et je pense que Robert Frank a fait ça, dans la photographie; c’est à dire faire confiance à ses sensations même si les images ne sont pas ce qu’on pensent qu’elles vont être .
Il y a une vraie osmose à ce moment là entre les individus qui sont très minoritaires mais qui ont réussi à dégager des espaces de liberté, c’est une vraie osmose entre des écrivains des photographes, des musiciens, des cinéastes.. Il y a quelque chose qui se passe sans frontières évidentes et dont témoigne les américains c’est à dire ce texte de Kerouac qui vient comme une espèce de tremplin pour lire les photographies de Robert Frank et il y a quelque chose aussi que Frank continue dans les connivences qu’il a établi avec Me and my brother, Pull my daisy, c’est la même chose, c’est le même groupe, c’est les même gens c’est kerouak c’est Ginsberg c’est Orlovsky.. et qui continu aussi à travers la musique puisque l’on voit Tom Waits dans Candy Mountain. Il y a quelque chose là qui semble une évidence entre ces personnalités, qui est évident aux Etats Unis et qui est peut être plus compliqué a instaurer pour des raisons très vastes en France. Dans le texte de Kerouac il y a quelque chose qui frappe d’emblée, d’abord c’est la musicalité, c’est assez proche de ce coté la de Mexico City Blues - le livre de poèmes de Kerouak - c’est un blues en l'occurrence. Ici c’est pas forcément un blues mais il y a des tempos, des rythmes très différents, il y a des rythmes très saccadés, très hachés, il y a d’autres rythmes qui sont au contraire assez coulant, fluide.. Il faut traduire à l’oreille mais il ne faut pas oublier que volontairement Kerouac dans certain passages - cela peut etre trois ou quatre mots - devient totalement incompréhensible; c’est de l’ordre de l'onomatopée ou d’une espèce de concaténation de mots qui sont de l’association libre ou qui sont une sorte de Haiku japonais très compressé et où il manque peut être un vers ou deux que Kerouac a voulu mettre comme ça. Et je pense qu’il a voulu rendre à la fois une espèce d'électricité que l’on voit bien dans certaines images, une certaine violence, potentielle, qui est la qui est présente, sourde mais qui pourrait éclater dans les photographies de Robert Frank. En fait on sent bien dans cette préface l'intérêt de Kerouac pour le Bee Bop ; il y a très souvent - et je pense à des solos de Carlie Parker - une frénésie de fringale de vocabulaire et peut être même d’effritement du sens qui vient ensuite retomber sur un thème comme Charlie Parker retombait sur ses thèmes; lui il retombe sur un thème qu’il avait ébauché trois quatre voire dix lignes avant. Donc il ne faut pas rendre les choses plus limpides qu’elles ne le sont mais il faut garder cette vivacité du rythme, ces tempos.
Pour lui la vie est faite de petites illuminations comme ça et l'écriture les provoque ou les réinvestit les fait renaitre à travers l’écriture; donc il y a moyen à travers l’écriture de se réapproprier des petits moments comme ça - et il y a pas mal d’essais de Kerouac où il parle de ces moments d’illuminations subites - et qui peuvent se faire comme le reflet d’une enseigne dans un caniveau. C’est toujours des choses extrêmement banales, des choses curieusement extrêmement photographiques, et pas du photographique spectaculaire, pas du photographique fabriqué pour la photographie mais du sujet photographique le plus banal mais en même temps le plus étrange. Et je crois que Robert Frank a quelque chose, en tout cas dans les américains, qui rappel cette manière de voir tout d’un coup une réalité incroyable dans un détail.
1, Jack Kerouac in Les Américains

25.2.11

Week End
Jean Luc Godard


Jean Luc Godard sort en 1967 «un film égaré dans le cosmos, un film trouvé à la ferraille, un film qui se fout de tout». Construit autour du départ en week-end d’un couple de parisiens, leur parcours dans un embouteillage sans fin sur les routes nationales (un des plus long travelling de l’histoire du cinéma) entame ce qui est un périple vers une critique acerbe de la société française. Week-end est un film cru dans lequel les gens se lynchent pour une voiture mal garée, les voisins se battent à coup de raquettes de tennis et de fusil, se mordent, s’arrachent les cheveux; les maris sont consciemment trompés par une gente féminine violemment hautaine - parlant avec désinvolture de leurs désirs et aventures sexuelles; les enfants insultent les adultes - salauds merdeux communistes - leurs femmes, leurs bagnoles ; les agriculteurs chantent l’internationale sur leur tracteur avant d’écraser «deux petites ordures de la jeunesse dorée», et Dieu s’invite même dans un autostop-hold-up pour faire le jugement dernier de la classe aisée française, son égoïsme, son désir du confort et ses rêves limités.
«on ne peut dépasser l’horreur de la bourgeoisie que par encore plus d’horreurs»
Week-end est un pétage de plomb sur l’avènement de la société de loisirs et de vacances; un ras le bol las, long, lourd, c’est 1h40 d’engueulades infinies, de bruits permanents, de klaxons, de tirades maoïstes gerbées par des personnages impossibles issu d’une tribu anarchiste qui kidnappe les automobilistes partis en pique-nique; pour finir par les manger -après multiples sévices - au barbecue.
Ces jeunes libertaires sont les amis de Godard, une sorte d’avant-garde intellectuelle étudiante qu’il fréquentait assis dans un coin avec son costume gris et ses lunettes noires -alors qu’eux arborait des tenus arabo-flamboyantes. Il les fait jouer ici avant qu’ils ne prennent leur propre rôle dans les évènements de 1968. Week-end est une fresque flamboyante de la fin d’un état de la civilisation, le dernier repas d’une société qui va être bouleversé quelques mois plus tard. Mais pour quoi au fait? Quelqu’un s’en souvient-il encore?

22.2.11


Delirious Tel-Aviv
Victor Enrich


"The Opera Tower, a magnificent example built 20 years ago, at the confluence of the Tayelet and Allenby Street. An enclave, today, slightly degraded by the existence of very low class hotels and business of little interest. The building is imposing even more to his area because of the existence of a large car park on the north side that allows for spectacular views like the one shown here. Looking closely at the building one evening, I realized that playing mildly to its original form it could get a way to denote one of the most present aspects in the country of Israel. Is none other than its militarization. In all parts of the country you can see young soldiers, dressed in their characteristic green uniform. The country requires them to 3 years of military service, if you are male, and 2 if you are female. And the vast majority of young people run it in the years leading up to college, delaying the access to their studies. However, there are young people who choose to delay their military service after college but this option is not usually welcomed by the vast majority, who defines its passage by the army as the best years of their lifes. However, such militarization, tends to be a forgotten concept in the city of Tel Aviv, who apparently lives outside what’s happening a few miles away. It is known as the Tel Aviv bubble, where everything is wonderful and ideal. It is worth to remind people of this wonderful city, that the conflict is still alive and that it is exactly in Tel Aviv where some of the most controversial decisions are taken."
"This is the Shalom Tower, probably the most famous building in the city for many reasons. It was the first, and for many years, the tallest skyscraper in the whole country of Israel. The style used is essentially Tel Avivi by the appearance of prefabricated artificial stone panels that, from the distance, look like concrete. I love this buildings for several reasons. First because of his magnitude, with more than 35 floors, second, because of it’s shape, with a 5 floors socket on the bottom that functions as a bridge building letting pass the Hertzl st through it, and finished with a very simple prismatic tower. On the top of the tower, we find a very interesting finishing with a new combination of holes and solids that manifest as setbacks reducing in a progressive way the width of the building. In any case, this finishing was not original but added several years after the original project was built. On the sides we find a vertical strip of windows that honestly, for me, look like the zip that I always wanted to tear down in order to see what’s hidden inside."

And more on Victor Enrich Artwork Website

20.2.11


France Nostalgie
Houellebecq, Koolhaas, Varda & others



Un passage plutôt surprenant a retenu mon attention dans l’épilogue du dernier Houellebecq, comme si d’avoir lu la démocratie en Amérique reclu dans la maison de son enfance de la Creuse lui avait donné quelques idées sur un futur possible de notre société française, ou comme s’il s’était entretenu avec Koolhaas à propos de son intérêt naissant sur l’avenir de la campagne suisse (aveu qu’il nous a livré lors de sa dernière apparition parisienne au Centre Pompidou mais dont nous n’avons toujours malheureusement aucune nouvelle)



«Il ne se remémorait que vaguement Chatelus-le-Marcheix, c’était dans son souvenir un petit village décrépit, ordinaire de la France rurale, et rien de plus. Mais dès les premiers pas dans la bourgade, il fut envahi par la stupéfaction. D’abord le village avait beaucoup grandi, il y avait au moins deux fois, peut être trois fois plus de maisons. Et ces maisons étaient pimpantes, fleuries, bâties dans un respect maniaque de l’habitat traditionnel limousin. Partout dans la rue principale s’ouvraient les devantures de magasins de produits régionaux, d’artisanat, d’art, en cent mètres il compta trois cafés proposant des connexions internet à bas prix - il lira plus tard dans un dépliant publicitaire que le conseil général avait financé le lancement d’un satellite géostationnaire pour améliorer la rapidité des connexions Internet dans le département. Pendant les semaines qui suivirent, il explora doucement, par petites étapes, sans vraiment quitter le Limousin, ce pays - la France - qui était indiscutablement le sien. La France, de toute évidence, avait beaucoup changé. Il se connecta a internet de nombreuses fois, il eut quelques conversations avec des hôteliers, des restaurateurs, avec d’autres prestataires de services (un garagiste de Périgeux, une escort girl de Limoges) et tout le confirma dans la première impression, fulgurante, oui le pays avait changé, changé en profondeur. Les habitants traditionnels des zones rurales avaient presque entièrement disparu. De nouveaux arrivants, venus des zones urbaines, les avaient remplacés, animés d’un vif appétit d’entreprise et parfois de convictions écologiques modérées, commercialisables. Ils avaient entrepris de repeupler l’hinterland - et cette tentative, après bien d’autres essais infructueux, basée cette fois sur une connaissance précise des lois du marché, et sur leur acceptation lucide, avait pleinement réussi. de nouvelles professions avaient fait leur apparition - ou plutôt d’anciennes professions avaient été remis au gout du jour, telles que la ferronnerie d’art, la dinanderie : on avait vu apparaitre des hortillonnages. A Jabreilles-les-Bordes, un village distant de cinq kilomètres de celui de Jed, s’était réinstallé un maréchal ferrant. La Creuse, avec son réseau de sentiers bien entretenus, ses forets, ses clairières se prêtait admirablement aux promenades équestres. Plus généralement, la France, sur le plan économique se portait bien. Devenue un pays surtout agricole et touristique, elle avait montré une robustesse remarquable lors des différentes crises qui s’étaient succédées. N’ayant guère a vendre que des hôtels de charme, des parfums et des rillettes - ce qu’on appel un art de vivre - la France avait résisté sans difficulté aux aléas du marché. Car ce n’était pas la fatalité qui avait conduit a se lancer dans la vannerie artisanale, la rénovation d’un gite rurale, ou la fabrication de fromages, mais un projet d’entreprise, un choix économique pesé, rationnel. Instruits, tolérants, affables, ils cohabitaient sans difficulté particulière avec les étrangers présents dans leur région - ils y avaient intérêt puisque ceux ci constituaient l’essentiel de leur clientèle. Cette nouvelle génération se montrait davantage conservatrice, davantage respectueuse de l’argent et des hiérarchies sociales établies que toutes celles qui l’avaient précédée. De manière plus surprenante, le taux de natalité était cette fois effectivement remonté en France, même sans tenir compte de l’immigration, qui était de toute façon presque retombée a zéro depuis la disparition des derniers emplois industriels et la réduction drastique des mesures de protection sociale intervenue au début des années 2020»


Cette anticipation, un peu maladroite et conservatrice, semble basé sur le fait que nous opérions de plus en plus un retour vers le monde rural, les valeurs campagnardes, avec tous les bons sentiments écologiques et bien pensants que cela véhicule, et les mythes liés à la campagne, la vie de quartier,etc etc bref un retour à l’authenticité en un mot. Mais comme il est justement remarqué ici, ceux qui la vivaient simplement il y a quelques générations sont désormais en train de disparaitre. Je voulais à ce propos, et sans nostalgie déplacée, citer deux documentaires témoin, de ce monde qui s’éteint avec les dernières générations de l’avant-guerre.


Le premier reportage est parisien, Daguerréotypes, c’est celui d’Agnès Varda sur la rue Daguerre dans le 14e. Une rue qu’elle a habité, une vie de quartier qu’elle a vécu et qu’elle fait partager avec son regard, certes parfois trop attendris, sur les commerçants de sa rue (dans un rayon de 50 mètres) et sur la vie de quartier encore présente lors de la réalisation en 1975. Elle nous fait partager le temps des petits commerces, de l’intérieur avec les artisans les vendeurs, la lenteur et la patience de leur travail dans les moments d’attentes, dans les temps morts, les temps vides, les regards croisées : « chaque matin le rideau se lève au théâtre du quotidien, sont répertoire nous est archi-connu, les vedettes sont le pain, le lait, la quincaille ,la viande, et le linge blanc mais aussi l’heure juste et le cheveu court»
Le second, La vie moderne de Raymond Depardon, revient sur les terres d'origine du photographe qu'il a quitté à 16 ans. Après avoir ramené des films d'un asile italien, d'un hôpital ou tribunal français, il pénètre de nouveau dans un monde difficilement accessible et silencieux, celui des paysans de l'Ariège, la Lozère, la Haute-Loire et la Haute-Saône

Alors à l’heure où vivre à la campagne signifie de plus en plus vivre à la périphérie de la ville, où la vie rurale se raréfie jusqu’à l’épuisement, mais où paradoxalement des valeurs de vie simple, plus proche de la nature exaltent; il n’est pas idiot de penser à un réinvestissement de la campagne - non plus comme lieu simple de résidence, de villégiature ou de production agraire, au service exclusif des villes - mais comme un corps réellement capable de produire une économie propre et forte. Dans le seul pays que je connaisse qui à une radio qui s’appelle Nostalgie, investir à fond dans ce système sentimentaliste est peut-être une des clés de son avenir.

18.2.11

OP

(Obsolescence Programmée)
Même si le ton du documentaire "Prêt à jeter" peut agacer au premier abord par son coté solennel et dramatisant, il est bon de s'y laisser doucement glisser pour comprendre un des mécanismes principale de la société de croissance dans laquelle nous évoluons, celui de l'obsolescence programmée des produits. Promenant la caméra à travers l'histoire du XXe siècle et les quatre coins du monde, il nous propose une vision large et pédagogique de cette notion sur laquelle nous nous sommes tous au moins un jour malheureusement confronté face à la piètre qualité d'un produit récemment acheté et qui nous reste entre les mains, avec comme seule solution le jet et le rachat. Voici le pitch:

"Dans les pays occidentaux, on peste contre des produits bas de gamme qu'il faut remplacer sans arrêt. Tandis qu'au Ghana, on s'exaspère de ces déchets informatiques qui arrivent par conteneurs. Ce modèle de croissance aberrant qui pousse à produire et à jeter toujours plus ne date pas d'hier. Dès les années 1920, un concept redoutable a été mis au point : l'obsolescence programmée. "Un produit qui ne s'use pas est une tragédie pour les affaires", lisait-on en 1928 dans une revue spécialisée. Peu à peu, on contraint les ingénieurs à créer des produits qui s'usent plus vite pour accroître la demande des consommateurs. "À l'époque, le développement durable n'était pas au centre des préoccupations", rappelle Warner Philips, arrière-petit-fils des fondateurs de la marque du même nom. Mais alors que les ressources de la planète s'épuisent, rien n'a changé. "La logique est croître pour croître", note Serge Latouche, professeur émérite d'économie à l'université de Paris 11. Tournée en France, en Allemagne, en Espagne, au Ghana et aux États-Unis, nourrie de nombreuses archives et interviews, avec, pour fil conducteur, le test d'une imprimante récalcitrante, cette démonstration minutieuse débusque les avatars de l'obsolescence programmée et leurs répercussions. Elle esquisse aussi d'autres modèles économiques : de la décroissance, prônée par Serge Latouche, à une industrie qui produirait et recyclerait à l'infini, à l'image de la nature. Une investigation passionnante, qui, l'exaspération une fois passée, amorce la réflexion."

Le documentaire est à regarder ici
Et si les thèmes des déchets, de la récupération, du recyclage vous intéresse je vous conseil aussi d'aller faire un tour vers ces articles par ici et .
Pour les photos, c'est Pieter Hugo.
Merci à Gaetan

15.1.11

CC

(Crash Culture)
Suite au post précédent et la fascination perverse que peuvent exercer les romans et nouvelles de Ballard, j’ai repensé aux nombreux tributs à ce que l’on pourrait appeler la culture crash, entamer personnellement il y a quelques années avec la lecture des romans d’Hubert Selby et les photos de Larry Clark, qui ont dernièrement fait controverse lors de leur passage au Musée d’Art Moderne de Paris (elles furent exposées quelques années auparavant à la maison européenne de la photographie sans aucun brouhaha). J’ai alors décidé d'étoffer ce thème lié à l’accident, à la destruction, aux incendies sur quelques post en passant par la peinture, la photographie, ou le cinéma. Et comme introduction nous commencerons avec cette série d’un peintre du XIXe Thomas Cole, le Destin des Empires, qui nous présente en cinq tableaux le déclin et les ravages de la civilisation et la dégénérescence que la société produit sur le territoire et le paysage. A suivre donc un petit tour d’horizon de ces paysages de la violence, de la haine ordinaire qu’il est bien convenu d’ignorer mais dont l’esthétique est parfois tout à fait stupéfiante.

16.12.10

VB

(Visages Beat)

"On passait toute une nuit à parler à Old Bull Lee; pour le moment, disons seulement qu'il était professeur et on peut affirmer qu'il était parfaitement fondé à enseigner car il passait tout son temps à apprendre; et les choses qu'il apprenait étaient ce qu'il jugeait être et définissait comme les "faits de la vie", dont il s'instruisait non seulement sous l'empire de la nécessité mais parce que c'était son goût. Il avait trainé son long corps maigre par tout le territoire des Etats Unis et, en son temps, dans la majeure partie de l'Europe et de l'Afrique du Nord, simplement pour voit ce qu'il se passait; il avait épousé une comtesse russe blanche en Yougoslavie pour la faire échapper aux nazis des années trente; il y a des photos de lui où on le voit au milieu du gang international de la cocaïne des années 30, de types au chevelure extravagantes, appuyé les uns sur les autres; sur d'autres photos, il est coiffé d'un panama, contemplant les rues d'Algiers; il n'a jamais revu la comtesse blanche russe. Il a été dératiser à Chicago, tenancier de bar a New York, huissier a Newark. A Paris il a siégé aux tables de café, examinant le visage maussade des français qui passaient. A Athènes, il a observé de son ouzo ce qu'il appel les gens les pus laids du monde. A Istanbul, il s'est frayé un chemin dans la foule des opiomanes et des marchands de tapis, en quête de faits. Dans les hôtels anglais, il a lu Spengler et le marquis de Sade. A Chicago, il s'est proposé de dévaliser un bain turc, a hésité a peine deux minutes de trop tandis qu'il buvait un verre, a raflé seulement deux dollars et a été obligé de prendre le large. Toutes ces choses, il les avaient accomplies pour le seul intérêt de l'expérimentation. Maintenant pour finir, il étudiait la drogue. On le voyait désormais à la Nouvelle Orléans se glisser dans les rues en compagnie de types louches et fréquenter des bars interlopes."

Les livres de Kerouac, auteur majeur de la Beat generation sont bourrés de ces descriptions concernant les personnages réels qu'il a croisé sur la route durant ses road-trips. En découvrant récemment les photos d'Allen Ginsberg, des visages collent enfin sur ces figures qui traversent toutes ces aventures.



De Haut en bas
. Jack Kerouac , NY, 1957
. Sur la route, p.201. Jack Kerouac , NY, 1957
. Neil Cassidy (Dean Moriarty dans Sur la route ) & his girlfriend at that time, Detroit, 1955
. William Burroughs & Kerouac, Mortal combat, NY 1953
. Allen Ginsberg typing in his Kitchen, 1001 Montgomery Street SF, 1956
. Neil Cassidy & Ken Kessey on amphetamine, Bus trip Festival, 1964
. Morningside Heights, Hal Chase Jack Kerouac Allen Ginsberg William Burroughs, NY, 1944

14.12.10

AJ

(Auto Junkyard)
"Je pense maintenant aux autres accidents que nous nous décrivions, aux morts absurdes des blessés, des mutilés et des traumatisés.
Je pense aux accidents de psychopathes, accidents peu plausibles, accomplis dans le dégoût de soi et le ressentiment; méchantes collisions multiples mises au point dans des voitures volées, sur l'autoroute du soir, entre employés de bureau fatigués.
Je pense aux accidents insensés de ménagères neurasthéniques rentrant de l'institut prophylactique et se jetant sur des voitures garées dans des rues de banlieue.
Je pense aux accidents de schizophrènes excités heurtant de front des camionnettes de blanchisserie venant juste de caler dans une rue à sens unique, à ceux de maniaques dépressifs broyés lors d'inutiles demi-tours sur les bretelles d'accès aux autoroutes, à ceux de paranoïaques malchanceux percutant un mur de brique au bout d'une impasse signalée, à ceux de bonnes d'enfants sadiques décapitées dans leurs voitures retournées sur de complexes échangeurs, à ceux de gérantes de supermarché lesbiennes brûlées vives dans la carcasse défoncée de leurs mini-voitures sous le regard stoïque de pompiers d'âge mûr, à ceux d'enfants autistes écrasés lors de collisions par l'arrière (leur regard moins meurtri dans la mort), à ceux de débiles mentaux prisonniers de leur autocar et coulant dans un canal le long d'une route, au coeur d'une zone industrielle".


text. James Graham Ballard, Crash!
Pics. Walker Evans, The Auto Junkyard
Si vous souhaiter en lire plus sur l'automobile, vous pouvez jeter un oeil ici

12.12.10

WU

(White U)

A house for sister Nobuko and her small daughters Sachiko and Fumiko


There are houses that play host to many stories during their lifetime. These houses host generations of residents, and their uses and habits consequently change over time. Other houses, however, have a history that is dominated by and adapted to a single family and its fate.

Occasionally, a house endures for less than the lifetime of its first owners, wether due to natural disasters, war or some other cause, and such houses usually conceal stories that need to be told.

In 1976, Toyo Ito was a young architect in Tokyo. He had grown up professionally among the most famous and sophisticated Japanese architects ( Kiyonori Kikutake, Togo Murano, Arata Isozaki, etc) and had created a few promising works. By that time he had already opened a small professional studio in his own name, and in that year his sister gave him a task: to build a little house on a small piece of land next to their parents' old home.

For the young architect, the assignment would have probably presented another opportunity to test his abilities in the difficult task of designing a family home had it not arisen from a personal tragedy : his sister Nobuko and her two small daughters (Sachiko and Fumiko) had just lost their husband and father to cancer.


In the wake of this event, Nobuko and her daughters were anxious to leave their luxury apartment in a Tokyo tower block with its views over the city. They were looking for somewhere they could find refuge; they needed a place where they could be together and feel safe - a protected and introverted place in which to regain their strength.

The White U's history began in this way, with its client's desire to "be as close to the land as possible" and to have an "L-shaped" plan that would allow her and her daughters to always be able to look at each other, perhaps through a garden. The house was also born from the way in which a young architect tried to meet these demands: he accepted them entirely, without discussion or mediation. While a sense of discretion often prevails in these cases, and the architect makes an attempt to tone down the client's requests (especially when linked to intimate and private emotions), in this case any notion of "distance", which is often what gives the architect a sense of authority, was entirely absent.


The White U thus had its origins in a space forged out of urgent, symbolic need, a condition to which the architectural response was not the logical composition of functional spaces (the kitchen, the bedroom, the sitting room) but rather the invention of a singular spatial concept: a cold, introverted yet rooted place - a niche-like home capable of protecting the solitude of a family enveloped in the mourning process.


Almost twenty years later, after having become an internationally renowned architect, Toyo Ito decided to tell the White U's very particular story, talking about the first sketches he produced on the drawing table, the tension that existed between the house's interior, which was conceived as an underground, labyrinth-like "tube", and the central, geometric empty space of the exterior, and the gradual creation of the small, cave-like area that enclosed a central patio, which became a kind of suspended space around which the family could gather instead of a garden. Ito has talked about the building process, during which, "every day toward midday", he would observe the builders at work, and about the ways in which he designed the movement of light and shade in the two white corridors and the fading of the sun in the communal space. He has recounted how this isolated, centripetal and introspective structure grew under the watchful eyes of the two siblings, who saw a small, elegant house take form, a horseshoe shape in exposed concrete with a roof that gently sloped down towards an internal patio and clear interiors cut by shafts of geometric light streaming in through skylights.


But Toyo Ito's story, unlike those usually told in architectural accounts, does not stop here. Ito also tells us how in the year after it was finished, the White U came under heavy criticism, and how some critics saw it as a Corbusian departure from the sophistication of traditional Japanese minimalism. He also recounts how this small, celebrated architectural creation was destroyed (definitively) well before its time, just twenty years after its construction. The mother and daughters who had desired and shaped it would also be the ones who decided on its end: one by one, they had left the house, which had "become like a tomb". The first to leave was the eldest daughter Sachiko. Later her mother left, and then the youngest daughter Fumoki moved out.


This was not, however, simply the gradual abandonment of a house. It was the liberating destruction of a space whose occupancy by someone else they could not contemplate: it was the disintegration of a place that symbolized for them the idea of an intimate and radical loss. The end of a particular period in the life of this family implied the abandonment of the architectural form that, for them, represented the transcription of that period in spatial terms.


Ito's story ends with a lucid examination of the fragility of this small and famous work . As he watched it being destroyed, he felt the forces of the metropolis penetrate the small area, where only fragmented of bricks and mortar remained. Ito understood that it had been, above all, an excess of architecture which had led to the death of this place. "Every house", he says, "is born from a dualism between the demand for a deeper form of life, a virtual demand that is often unconscious, and the possibility of staying open to the everyday dynamics of the family and its social rules". Architects need to be able to respond to both these needs, to give space to the symbolic dimension, to that sense on an "other house", as well as to allow the space to adapt itself to the vicissitudes and chances events of our lives. Architects should not try to determine these events or close off the possibility of change. "But the White U", Ito concludes, "ignored this dualism. It only tried to respond to the first questions or needs". These house was overly rigorous, and its originality, too fragile.


Vous retrouverez cet article de Stefano Boeri dans le numéro 0 de San Rocco, qui sort en France ce mercredi 15 décembre. Il y a pour cette occasion une soirée de lancement publique à la librairie du Palais de Tokyo. Pour plus d'informations vous pouvez consulter la page facebook de l'évènement ici.


29.11.10

SS

(Seinesaintdenis Style)

Département emblématique des banlieues françaises, la Seine-Saint-Denis, étiquetée du médiatique label 9-3, incarne depuis le début des années 1960 le cliché d’une jeunesse en colère, stigmatisée comme graine de “voyous” ou plus récemment de “racailles”. Une image à laquelle le réalisateur Jean-Pierre Thorn a décidé de tordre le cou en redonnant toute sa valeur à un demi-siècle de contre-culture musicale, et aux voix souvent réprimées d’un territoire en perte d’identité, mais jamais en mal de vitalité… Du concert mythique de la Nation en 1963 au slam d’aujourd’hui en passant par le punk et bien sûr la grande vague hip-hop, le documentaire retrace les différentes étapes d’une résistance musicale intimement liée à la réalité sociale et populaire dont elle est issue. Une épopée racontée par quelques-uns de ceux qui en ont fait la richesse et la créativité : Daniel Boudon, chaudronnier et batteur d’un groupe rock au début des années 1960, Marc Perrone, promoteur du folk dix ans plus tard et précurseur du slam, Loran de Bérurier Noir, icône de la génération punk, DJ Dee Nasty, artisan de la culture hip-hop française, le rappeur Casey, associé au rockeur radical de Zone Libre (ex-Noir Désir) et le slameur D’ de Kabal. De larges extraits de concerts (NTM, Bérus…) et des archives percutantes racontent ainsi l’histoire d’une banlieue minée par une politique urbaine anarchique, des mutations industrielles successives, la désillusion politique et l’indifférence, voire l’agression, des pouvoirs publics : un terreau fertile, où culture et pensée ne cessent de se réinventer.

Le reportage est ici, et dans un genre plus incisif les clips de Romain Gavras ici et