26.3.11


Pour Qui? Pour Quoi?
Rem Koolhaas



Cet article paru récemment sur The Funambulist m'a subitement fait pensé à ce texte de Koolhaas sur l'architecture : Pour qui? Pourquoi?

Existe-t-il d’autre profession qui, comme l’architecture, ces dix dernières années, ait conu simultanément des fortunes aussi contraires? D’un coté, parce qu’elle impose de plus en plus au monde des structures dont il n’a jamais voulu, elle devient extrêmement vulnérable et se trouve dans la position humiliante de l’amant qui énumère ses qualités à un partenaire qu’il n’intéresse plus. De l’autre, elle est une redécouverte - y-a-t-il un rapport - pour les architectes ! Redécouverte marqué par la naissance d’une avant garde qui souffre du décalage horaire, par la multiplication des conférences, des shows, des publications.. Autant de preuves d’un intérêt qui ne se traduit ni en résultats, en croyances ou en respect. Ce cirque n’est finalement qu’un feu éteint, stérile dans ses apports à la mythologie. Redécouverte qui ressemble à une théorie volontaire de groupes d’intoxiqués - «les architectes anonymes» - qui essaient de contrebalancer une blessure traumatisante et de retrouver leur assurance grâce aux incantations rituelles d’exemples passés.

Au même moment, en Europe, l’architecture est attaquée dans ses profondeurs par le jeu des forces politiques qui, dans un climat explosif, accordent et retirent leurs faveurs, promettent et refusent leur soutien, télescopent les délais au-delà des limites tolérables en fonction des changements de saisons politiques, imposent des contraintes financières grotesques, reformulent sans aucune gêne les déclarations d’intentions, font s’évanouir les décisions sans explications, tirent cruellement plaisir du simple fait d’abandonner un ouvrage au profit d’un expédient plus important qui demeure inexpliqué : l’Etat ressemble ainsi à quelque nature malveillante dont la météorologie ne connait que tempêtes, dépressions, averses..
Dans les pays où la «participation» est institutionnalisée et rationalisée par la loi, la position de l’architecte est pire encore : il est pris en sandwich entre les pouvoirs d’en haut et la «base» dans une situation où la dilution des responsabilités fait que personne n’est blâmé ni félicité. Les conséquences de la tactique ainsi délibérément imposé se retrouvent dans les moindres détails, mais y-a-t-il là quelque chose de nouveau cette excroissance, comme un échafaudage, disparaitra du bâtiment une fois terminé. Parfois, alors que nous passons près de notre opération à Amsterdam, nous reconnaissons ces ménagères, aujourd’hui encombrées de leurs achats, qui ont rejetés fermement ces détails architecturaux que nous avions imaginés baignés dans une aura de beauté sublime qui, malheureusement, n’exista jamais et nous découvrons des visions nouvelles sur lesquelles nous n’avons aucun contrôle. Il est évident que dans le climat de cynisme omniprésent, il devient difficile de convaincre et d’être convaincant. Inhérente est à l’architecture l’euphorie bizarre et satisfaite qui contraste étrangement avec la rudesse du traitement subi par les architectes. La politesse exquise, les manifestations de la plus grande civilité parviennent à peine à masquer le fait qu’il n’y a pas de discours réels, que les débats sont histrioniques, les discussions rhétoriques, les combats avec mouches, les désaccords cosmétiques.
Au milieu d’un tel excès de bonnes manières, il est important de ne plus être «cool», de redevenir gauche, indigeste, passionné. Seule, la mise en avant acharnée des conditions horrifiantes dont est issue l’architecture actuelle - qui pourrait facilement prendre des dimensions de tragédies grecques - peut révéler le fait paradoxal qu’être architecte aujourd’hui c’est, quelle qu’en soit la valeur, être un héros. Un vrai courage est requis, celui de s’aliéner de son client, de fâcher son protecteur, de perde l’oreille des politicien : il est nécessaire à la mythologie de l’architecture. L’inconscient de notre culture doit être alimenté en marque d’héroïsme ou au moins en preuves que certaines choses essentielles existent, que seul un architecte est à même d’accomplir.


4 commentaires:

Victor a dit…

pas mal le petit rem ! mais d'où vient ce texte, flav ? tu l'as publié intégralement ? et il date de quand ?

Flavien Menu a dit…
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Flavien Menu a dit…

Architecture Aujourd'hui spécial OMA, Avril 1985

Flavien Menu a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.