20.2.11


France Nostalgie
Houellebecq, Koolhaas, Varda & others



Un passage plutôt surprenant a retenu mon attention dans l’épilogue du dernier Houellebecq, comme si d’avoir lu la démocratie en Amérique reclu dans la maison de son enfance de la Creuse lui avait donné quelques idées sur un futur possible de notre société française, ou comme s’il s’était entretenu avec Koolhaas à propos de son intérêt naissant sur l’avenir de la campagne suisse (aveu qu’il nous a livré lors de sa dernière apparition parisienne au Centre Pompidou mais dont nous n’avons toujours malheureusement aucune nouvelle)



«Il ne se remémorait que vaguement Chatelus-le-Marcheix, c’était dans son souvenir un petit village décrépit, ordinaire de la France rurale, et rien de plus. Mais dès les premiers pas dans la bourgade, il fut envahi par la stupéfaction. D’abord le village avait beaucoup grandi, il y avait au moins deux fois, peut être trois fois plus de maisons. Et ces maisons étaient pimpantes, fleuries, bâties dans un respect maniaque de l’habitat traditionnel limousin. Partout dans la rue principale s’ouvraient les devantures de magasins de produits régionaux, d’artisanat, d’art, en cent mètres il compta trois cafés proposant des connexions internet à bas prix - il lira plus tard dans un dépliant publicitaire que le conseil général avait financé le lancement d’un satellite géostationnaire pour améliorer la rapidité des connexions Internet dans le département. Pendant les semaines qui suivirent, il explora doucement, par petites étapes, sans vraiment quitter le Limousin, ce pays - la France - qui était indiscutablement le sien. La France, de toute évidence, avait beaucoup changé. Il se connecta a internet de nombreuses fois, il eut quelques conversations avec des hôteliers, des restaurateurs, avec d’autres prestataires de services (un garagiste de Périgeux, une escort girl de Limoges) et tout le confirma dans la première impression, fulgurante, oui le pays avait changé, changé en profondeur. Les habitants traditionnels des zones rurales avaient presque entièrement disparu. De nouveaux arrivants, venus des zones urbaines, les avaient remplacés, animés d’un vif appétit d’entreprise et parfois de convictions écologiques modérées, commercialisables. Ils avaient entrepris de repeupler l’hinterland - et cette tentative, après bien d’autres essais infructueux, basée cette fois sur une connaissance précise des lois du marché, et sur leur acceptation lucide, avait pleinement réussi. de nouvelles professions avaient fait leur apparition - ou plutôt d’anciennes professions avaient été remis au gout du jour, telles que la ferronnerie d’art, la dinanderie : on avait vu apparaitre des hortillonnages. A Jabreilles-les-Bordes, un village distant de cinq kilomètres de celui de Jed, s’était réinstallé un maréchal ferrant. La Creuse, avec son réseau de sentiers bien entretenus, ses forets, ses clairières se prêtait admirablement aux promenades équestres. Plus généralement, la France, sur le plan économique se portait bien. Devenue un pays surtout agricole et touristique, elle avait montré une robustesse remarquable lors des différentes crises qui s’étaient succédées. N’ayant guère a vendre que des hôtels de charme, des parfums et des rillettes - ce qu’on appel un art de vivre - la France avait résisté sans difficulté aux aléas du marché. Car ce n’était pas la fatalité qui avait conduit a se lancer dans la vannerie artisanale, la rénovation d’un gite rurale, ou la fabrication de fromages, mais un projet d’entreprise, un choix économique pesé, rationnel. Instruits, tolérants, affables, ils cohabitaient sans difficulté particulière avec les étrangers présents dans leur région - ils y avaient intérêt puisque ceux ci constituaient l’essentiel de leur clientèle. Cette nouvelle génération se montrait davantage conservatrice, davantage respectueuse de l’argent et des hiérarchies sociales établies que toutes celles qui l’avaient précédée. De manière plus surprenante, le taux de natalité était cette fois effectivement remonté en France, même sans tenir compte de l’immigration, qui était de toute façon presque retombée a zéro depuis la disparition des derniers emplois industriels et la réduction drastique des mesures de protection sociale intervenue au début des années 2020»


Cette anticipation, un peu maladroite et conservatrice, semble basé sur le fait que nous opérions de plus en plus un retour vers le monde rural, les valeurs campagnardes, avec tous les bons sentiments écologiques et bien pensants que cela véhicule, et les mythes liés à la campagne, la vie de quartier,etc etc bref un retour à l’authenticité en un mot. Mais comme il est justement remarqué ici, ceux qui la vivaient simplement il y a quelques générations sont désormais en train de disparaitre. Je voulais à ce propos, et sans nostalgie déplacée, citer deux documentaires témoin, de ce monde qui s’éteint avec les dernières générations de l’avant-guerre.


Le premier reportage est parisien, Daguerréotypes, c’est celui d’Agnès Varda sur la rue Daguerre dans le 14e. Une rue qu’elle a habité, une vie de quartier qu’elle a vécu et qu’elle fait partager avec son regard, certes parfois trop attendris, sur les commerçants de sa rue (dans un rayon de 50 mètres) et sur la vie de quartier encore présente lors de la réalisation en 1975. Elle nous fait partager le temps des petits commerces, de l’intérieur avec les artisans les vendeurs, la lenteur et la patience de leur travail dans les moments d’attentes, dans les temps morts, les temps vides, les regards croisées : « chaque matin le rideau se lève au théâtre du quotidien, sont répertoire nous est archi-connu, les vedettes sont le pain, le lait, la quincaille ,la viande, et le linge blanc mais aussi l’heure juste et le cheveu court»
Le second, La vie moderne de Raymond Depardon, revient sur les terres d'origine du photographe qu'il a quitté à 16 ans. Après avoir ramené des films d'un asile italien, d'un hôpital ou tribunal français, il pénètre de nouveau dans un monde difficilement accessible et silencieux, celui des paysans de l'Ariège, la Lozère, la Haute-Loire et la Haute-Saône

Alors à l’heure où vivre à la campagne signifie de plus en plus vivre à la périphérie de la ville, où la vie rurale se raréfie jusqu’à l’épuisement, mais où paradoxalement des valeurs de vie simple, plus proche de la nature exaltent; il n’est pas idiot de penser à un réinvestissement de la campagne - non plus comme lieu simple de résidence, de villégiature ou de production agraire, au service exclusif des villes - mais comme un corps réellement capable de produire une économie propre et forte. Dans le seul pays que je connaisse qui à une radio qui s’appelle Nostalgie, investir à fond dans ce système sentimentaliste est peut-être une des clés de son avenir.

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