13.10.10

PO

(Paysages Olfactifs)

De retour à Paris , et peut-être pour la première fois, j'ai reconnu son odeur. J'essaye maintenant de me souvenir des autres villes et me reviennent le métro de Berlin, les cuisines de Pékin, les fleuristes de New York, la tamise de Londres, le printemps de Copenhague et cet article trouvé il y a quelque temps sur Edible Geography à propos de Sisell Tolaas.
Sa pratique artistique explore le sens de l’odeur- en travaillent avec les molécules d’odeur que notre nez détecte et le langage que nous utilisons pour le décrire. Tolaas commence à entrainer son odorat dans le début des années 1990, collectant des bric et brocs - des échantillons de tissus, des morceaux de nourriture, les talons de crayons, des peaux de banane – aux odeurs caractéristiques, et les archive dans une bibliothèque d’odeurs désormais composée de 6 723 boites hermétiques. Elle utilise ces archives pour s’entrainer, pour affiner au fur et à mesure son acuité et commence dès lors à créer des paysages odorants , sans la perturbation du dégout.

Un peu comme par magie, elle découvre une machine développée par les scientifiques des principales compagnies de parfums et de saveurs appelé headspace technology qui permet de capturer n’importe quelle odeur du monde et de l’enfermer dans une jarre hermétique avec un papier absorbant. Le matériel olfactif récupéré est ensuite décomposé en une liste de différents ingrédients moléculaires utilisant la spectronomie de masse ou la chromatographie en phase gazeuse, et permettant ensuite de reconstituer les odeurs artificiellement. Les laboratoires utilisent cette technologie dans la jungle pour capturer des extraits rares de fleur de lotus bleu ou des parfums de variétés inconnues d’orchidées.

Les usages de Toolas sont différents : elle à créer une « odeur suédoise » pour Ikéa ou Volvo, et travaille actuellement sur des identités olfactives pour Adidas, mais a aussi créer l’odeur des champs de batailles pour le musée allemand de l’histoire militaire de Dresde, l’odeur de l’argent pour de grandes banques (qu’elle la porte parfois lors de business meeting) et aussi sa propre odeur, extraite, recréer et appliquer en forme concentré : "Quand je reproduis mon odeur de mon propre sueur et que je l’applique sur mon propre corps la réaction intellectuelle et psychologique que j’ai de moi-même est juste incroyable, je me redécouvre comme un être humain. En contraste, la collectivité américaine dépense 1.7 milliards chaque année en anti-transpirant et déodorants pour masquer les odeurs personnelles – l’ouest est aveugle des odeurs c’est devenu un sujet tabou et réprimé socialement."
Dans son essai, Towards a sensorial urbanism, l’architecte et auteur Mirko Zardini étend le diagnostique de la suppression des odeurs de Toolas aux espaces et villes dans lesquelles nous vivons.
"L’urbanisme a longtemps privilégié les qualités urbaines spatiales basées exclusivement sur la perception visuelle. Par-dessus tout, les odeurs ont été considérées comme des éléments perturbateurs, et l’architecture et l’urbanisme ont été exclusivement cherchés à les marginaliser, les recouvrir et les éliminer."

L’intérêt de Tolaas pour les odeurs l’a alors poussé à explorer les paysages odorants de différentes villes, de Paris à Vienne en passant par Kansas City, utilisant des marches structurés, des interviews et l’headspace technology.
Elle explique : "Tout comme la société est traversée par des barrières symboliques concernant l’odeur, l’environnement urbain est lui aussi délimité de contours olfactifs. Les différentes espaces odorants de la ville sont largement les produits de loi de zonage. Ces lois sont régulées par le type de construction et les types d’activités qui ont lieu dans les différents espaces, et qui régulent aussi la distribution et la circulation des odeurs."

Le travail de Tolaas va cependant au-delà de la simple cartographie ou la reproduction d’une géographie olfactive et va vers une investigation de l’odeur comme information – information qui, si elle était largement partagée et comprise pourrait jouer un rôle clé dans la communication et la navigation. ; Elle recherche les limites du langage qui en étant mieux décrit pourrait aller au delà du bon et du mauvais et des analogies.

Par exemple, dans le film Talking Nose, Tolaas investit Mexico City et sa pollution à notoriété mondiale. Elle commence en 2001 à étudier la ville à travers les signaux chimiques olfactifs dans leur environnement, visitant plus de 200 quartiers différents, répétant systématiquement sa méthode pour identifier les clés odorantes de chacun d’entre eux, utilisant toujours l’ headspace technology. Elle représente ensuite ces odeurs sur une carte liée à des flacons contenant un concentré de l’odeur de chacune des zones.

Dans le même temps, Tolaas filme 2100 résidents de Mexico en train de décrire l’odeur de leur quartier et son atmosphère. On voit alors des nez parler, reniflant et des bouches retranscrivant la ville invisible juste par des mots sur des odeurs « rouille, sucré et vielle » plaisante, aromatique, légère » « parfumé, fleurs et vanille ». Présenté ensemble, les odeurs, la carte et les vidéos et les mots nous permettent d’effectuer une découverte de la ville d’une façon recadrée, et de découvrir le paysage olfactif de Mexico.

D'autres travaux sur les odeurs de la ville existent et notamment sur la création de cartes odorantes permettant de nous initier aux interactions entre quartiers et odeurs.
Le premier d'entre eux revient à Jean Noël Hallée qui dans les années 1790, en avant-garde de l'hygiènisme, développe une carte axé sur les odeurs dans Paris.

Désormais beaucoup de choses se développent autour de New York, que vous pouvez découvrir ici à travers le travail de Jason Logan pour le New York Times et aussi ces Scratch ‘N Sniff NYCmap developpé par The Rockefeller University’s Vosshall Lab et New York Sub Culinary Map par Rick Meyerowitz ici.


1 commentaire:

Renaudie a dit…

Lire :
Lucile GRÉSILLON, "Sentir Paris, bien-être et matérialité des lieux", préface de François Ascher, Paris, coédition Quæ/NSS-Dialogues, Coll. « Indisciplines », 192 p. Prix TTC : 25 €