28.11.10

LA

(Lost Astronaut)
Dear Gina,

I am an astronaut by profession. I know you usually help artists but as I continue to be lost after my one and only trip to the moon 39 years ago, I feel that you are the person that can help me. My endeavors have never been celebrated. The mission I commanded was top secret and therefore not subject to the usual fanfare afforded to the Apollo boys. In fact, I was the first on the moon. I made it there, walked in that luscious white dust, planted a flag, and have photos to prove it! I was not so lucky with my return flight. I had the same problem that Gemini 8 had a year later, only more intense. The thruster malfunction caused my ship to spin out of control in a never ceasing orbit of Mother Earth. Never was I allowed a suitable ocean plunge until I was propelled out of space on August 13, 2009 in a meteor shower that threw a hundred stars with me. I now walk the streets of Manhattan, alone, unable to shed my space suit because no one will touch me. I am a healthy, drop-dead gorgeous, brilliant female; accomplished, with a savings account and a wealth of experience. I don't really want a husband, but I need relief. You see, something about this ill-fitted suit and all those years of spinning has left me in a suspended state of excitement. Houston, Houston do you read?

Moonstruck
Suite a la création d'un personnage fictif - un ancien cosmonaute jamais remis de sa seule mission sur la lune - Alicia Framis à errer dans les rues de New York pendant 15 jours,réalisant les instructions commandées par 15 artistes et écrivains.

17.11.10

BB

(Back to Basics)


C'est en octobre 2008, par une pluvieuse après midi d'automne à la biennale de Venise, qu'à été prononcé le décès aussi subi subi qu'inattendu d'une génération complète d'architectes-stars, celle des années 2000. Cette déclaration orale, revendiquée par une série d'étudiants bruxellois en visite à la grande messe bisannuelle de l'architecture m'a laissé doublement pantois : d'admiration devant la lucidité d'un tel jugement malgré leur jeune âge et d'horreur devant une situation que je n'avais pas anticipé; celle de faire partie, subitement, de ceux qui les avaient vécues, ces dites années de star-système florissant. Cet enterrement expéditif fut suivi, quelques mètres plus loin, d'une exhumation tout aussi improbable: celle de l'exposition Roma Interrota, initialement montée en 1978 sous la tutelle de Colin Rowe. Avant sa réhabilitation vénitienne, l'exposition avait été montrée à New York, Mexico, Londres, Toronto, Zurich, Bilbao, São Paulo, Paris et Barcelone; il y à 30 ans.
L'histoire de l'architecture articule une succession de moments culturels. Par ce texte, je vais essayer de sonder le moment présent et d'identifier les mécanismes à l'œuvre dans cette variation supplémentaire de la partition architecturale autant que son interprétation. Il est temps d'interroger un double choc générationnel : d'une part, celui constitué par la production architecturale émergeant actuellement, celle de notre génération; et d'autre part, celui issu de la fascination des jeunes diplômés pour des modèles encore récemment enfouis. C'est avec ce triple regard de commentateur culturel, d'enseignant et d'architecte praticien que je m'efforcerai de dégager quelques pistes de réflexion.

Revenons à Venise. Pourquoi, au fond, cette exposition Roma Interrotta a-t-elle eu un impact aussi considérable sur les étudiants, en lieu et place de ce qui aurait pu être attendu, à savoir la constellation d'objets labélisés sagement alignés dans la Corderie de l'Arsenal? Serait-ce dû au sentiment tenace qui, à la fin du parcours présentant les "architectes actuels", renvoyait à la sensation communément partagée d'une fin d'après midi chez Ikéa, lorsque écœuré, on ne peut plus voir un seul de ces divans, tables chaises ou armoires? Au-delà de la simple provocation, force est de constater que les objets disposés dans les rangées du célèbre magasin suédois et ceux exposés à la biennale partagent quelque chose en commun : leur statut d'objets soigné et proposé au regard. Par le biais d'un processus progressif de réification, les architectes ont produit depuis dix ans des objets clos, accompagnés dans leur médiatisation par autant d'images finies. Suivant l'idée de la locution anglaise "What you see is what you get", les projets d'architecture autant que les véhicules de leur communication se sont progressivement externalisés, à la pensée pour s'inscrire dans le réseau marchand d'une promotion appuyée sur la compréhension immédiate, à l'inverse de principes fondés sur le développement de logiques internes et la recherche d'interrogations conceptuelles. Je suis dès lors tenté d'émettre l'hypothèse suivante concernant la magie exercée par l'exposition Roma Interrotta; indépendamment d'une certaine nostalgie face aux plans tracés à l'encre sur papier calque et leur présentation en cadres évoquant l'univers feutré des galeries d'un autre temps, les projets possèdent, chacun et surtout par leur ensemble , un caractère qui renvoie à deux choses essentielles: le degré zéro de la question architecturale, présence et manifestation de l'espace au-delà du signe; la fiction spéculative, dimension poétique d'une univers conceptuellement élaboré, dont l'abstraction laisse cependant place l'interprétation et à l'imagination.

Une décennie après l'avènement des Paperless Studios dans les écoles d'architecture à travers le monde, on voit à présent réapparaitre des projets d’Architecture sur Papier, dans la lignée des expérimentations poétiques et pédagogiques de Jonh Hejduk à la Cooper Union. L'architecture objectivée, définie par interposition de paramètres externalisés, se cherche un deuxième souffle qui puisse légitimer tant d'efforts. Aldo Rossi et son idée de la critique par la pratique architecturale sont réactualisés par l'intermédiaire de projets sur les villes. Les indices d'un retour à la discipline sont évidents. Des tiroirs de l'histoire, celui qui contient l'héritage est à nouveau ouvert et l'ouvrage de la modernité remis sur le métier. En réaction à une décennie d'invention architecturale à tout prix caractérisée par la production d'objets phares ou résumée à une approche programmatique se manifestent des recherches liées à la spatialité comme base architecturale, tant d'un point de vue phénoménologique (les contours de l'espace, sa matérialisation..) qu'au niveau des dispositifs qui permettent de le révéler, le rendre lisible et intelligible. Anti-objet et anti-image, la question de l'espace est à nouveau au centre du débat. Et, coïncidence ou probablement pas, les architectes ne sont pas les seuls à réviser les fondamentaux de la perception, de la modernité et de l'héritage - je pense aux travaux des artistes Dominique Gonzales-Foerster et Tom Sachs par exemple.

La réplique en cours actuellement dans le domaine architectural, qui consiste à envisager de nouveau les questions d'espace à réévaluer la capacité performative de l'héritage et proposer un temps d'arrêt dans la course à l'iconographie est salutaire ; d'une part parce qu'elle est réflexive et d'autre part parce qu'elle marque le signe d'une volonté d'opérer sur le réel. Celui la même qui reconnait les formes de la complexité - à l'inverse de complications fabriquées de toutes pièces - et suggère d'y intervenir avec simplicité et évidence - en contre-pied d'une attitude simpliste. Étrangement, et ce dans l'idée d'une figure impossible, le moment actuel n'existe que parce qu'il se réclame d'une intemporalité absolue alors même qu'il ne peut être que temporaire, au risque sinon de verser dans la nostalgie, le rigorisme fermé et la posture réactionnaire. Une transition plus qu'une finalité. C'est probablement dans l'après Back to Basics que nous pourrons identifier la pertinence et la portée réelle du temps présent, au travers de sa capacité à continuer de produire une pensée critique en mouvement.

Texte / Cédric Libert
Pics /Paul Mouchet, BigBoxness

extraits du dernier numéro de Face B - Back To Basics


30.10.10

BD

(Bardi Drawings)

Nous vous avions déjà parler de Lina Bo Bardi, cette femme qui prend un certain plaisir à construire les bâtiments les plus brutaux du Brésil (voir ici et ). Mais elle réalise aussi de très inspirés croquis et planches de collages qui se trouvent regrouper dans ce livre et disponible sur les vignettes ci dessous.

Merci à Antoine

13.10.10

PO

(Paysages Olfactifs)

De retour à Paris , et peut-être pour la première fois, j'ai reconnu son odeur. J'essaye maintenant de me souvenir des autres villes et me reviennent le métro de Berlin, les cuisines de Pékin, les fleuristes de New York, la tamise de Londres, le printemps de Copenhague et cet article trouvé il y a quelque temps sur Edible Geography à propos de Sisell Tolaas.
Sa pratique artistique explore le sens de l’odeur- en travaillent avec les molécules d’odeur que notre nez détecte et le langage que nous utilisons pour le décrire. Tolaas commence à entrainer son odorat dans le début des années 1990, collectant des bric et brocs - des échantillons de tissus, des morceaux de nourriture, les talons de crayons, des peaux de banane – aux odeurs caractéristiques, et les archive dans une bibliothèque d’odeurs désormais composée de 6 723 boites hermétiques. Elle utilise ces archives pour s’entrainer, pour affiner au fur et à mesure son acuité et commence dès lors à créer des paysages odorants , sans la perturbation du dégout.

Un peu comme par magie, elle découvre une machine développée par les scientifiques des principales compagnies de parfums et de saveurs appelé headspace technology qui permet de capturer n’importe quelle odeur du monde et de l’enfermer dans une jarre hermétique avec un papier absorbant. Le matériel olfactif récupéré est ensuite décomposé en une liste de différents ingrédients moléculaires utilisant la spectronomie de masse ou la chromatographie en phase gazeuse, et permettant ensuite de reconstituer les odeurs artificiellement. Les laboratoires utilisent cette technologie dans la jungle pour capturer des extraits rares de fleur de lotus bleu ou des parfums de variétés inconnues d’orchidées.

Les usages de Toolas sont différents : elle à créer une « odeur suédoise » pour Ikéa ou Volvo, et travaille actuellement sur des identités olfactives pour Adidas, mais a aussi créer l’odeur des champs de batailles pour le musée allemand de l’histoire militaire de Dresde, l’odeur de l’argent pour de grandes banques (qu’elle la porte parfois lors de business meeting) et aussi sa propre odeur, extraite, recréer et appliquer en forme concentré : "Quand je reproduis mon odeur de mon propre sueur et que je l’applique sur mon propre corps la réaction intellectuelle et psychologique que j’ai de moi-même est juste incroyable, je me redécouvre comme un être humain. En contraste, la collectivité américaine dépense 1.7 milliards chaque année en anti-transpirant et déodorants pour masquer les odeurs personnelles – l’ouest est aveugle des odeurs c’est devenu un sujet tabou et réprimé socialement."
Dans son essai, Towards a sensorial urbanism, l’architecte et auteur Mirko Zardini étend le diagnostique de la suppression des odeurs de Toolas aux espaces et villes dans lesquelles nous vivons.
"L’urbanisme a longtemps privilégié les qualités urbaines spatiales basées exclusivement sur la perception visuelle. Par-dessus tout, les odeurs ont été considérées comme des éléments perturbateurs, et l’architecture et l’urbanisme ont été exclusivement cherchés à les marginaliser, les recouvrir et les éliminer."

L’intérêt de Tolaas pour les odeurs l’a alors poussé à explorer les paysages odorants de différentes villes, de Paris à Vienne en passant par Kansas City, utilisant des marches structurés, des interviews et l’headspace technology.
Elle explique : "Tout comme la société est traversée par des barrières symboliques concernant l’odeur, l’environnement urbain est lui aussi délimité de contours olfactifs. Les différentes espaces odorants de la ville sont largement les produits de loi de zonage. Ces lois sont régulées par le type de construction et les types d’activités qui ont lieu dans les différents espaces, et qui régulent aussi la distribution et la circulation des odeurs."

Le travail de Tolaas va cependant au-delà de la simple cartographie ou la reproduction d’une géographie olfactive et va vers une investigation de l’odeur comme information – information qui, si elle était largement partagée et comprise pourrait jouer un rôle clé dans la communication et la navigation. ; Elle recherche les limites du langage qui en étant mieux décrit pourrait aller au delà du bon et du mauvais et des analogies.

Par exemple, dans le film Talking Nose, Tolaas investit Mexico City et sa pollution à notoriété mondiale. Elle commence en 2001 à étudier la ville à travers les signaux chimiques olfactifs dans leur environnement, visitant plus de 200 quartiers différents, répétant systématiquement sa méthode pour identifier les clés odorantes de chacun d’entre eux, utilisant toujours l’ headspace technology. Elle représente ensuite ces odeurs sur une carte liée à des flacons contenant un concentré de l’odeur de chacune des zones.

Dans le même temps, Tolaas filme 2100 résidents de Mexico en train de décrire l’odeur de leur quartier et son atmosphère. On voit alors des nez parler, reniflant et des bouches retranscrivant la ville invisible juste par des mots sur des odeurs « rouille, sucré et vielle » plaisante, aromatique, légère » « parfumé, fleurs et vanille ». Présenté ensemble, les odeurs, la carte et les vidéos et les mots nous permettent d’effectuer une découverte de la ville d’une façon recadrée, et de découvrir le paysage olfactif de Mexico.

D'autres travaux sur les odeurs de la ville existent et notamment sur la création de cartes odorantes permettant de nous initier aux interactions entre quartiers et odeurs.
Le premier d'entre eux revient à Jean Noël Hallée qui dans les années 1790, en avant-garde de l'hygiènisme, développe une carte axé sur les odeurs dans Paris.

Désormais beaucoup de choses se développent autour de New York, que vous pouvez découvrir ici à travers le travail de Jason Logan pour le New York Times et aussi ces Scratch ‘N Sniff NYCmap developpé par The Rockefeller University’s Vosshall Lab et New York Sub Culinary Map par Rick Meyerowitz ici.


30.9.10

MC

(Monument Continu)


Alors que faire en ce week-end pluvieux ? Is shopping the only way out of the rain ? Que faire quand le shopping mall a absorbé toute expérience, quand il est devenu The ultimate experience? A trop fréquenter son espace commercial, je finis par me demander si Singapour est autre chose qu’une surface minérale sur laquelle on déambule un peu hagard, un gobelet publicitaire en carton à la main en tétant un soda, 110Kcal, 28g de glucides, I’m Lovin’it, en attendant lundi. SMS, Save My Soul.

Laisse-moi rêver, Singapour, pendant que je commence à douter de mon propre reflet dans tes vitrines. De quoi les espaces incroyables de tes shopping malls, de tes integrated resorts sont-ils les musées ? Ces millions de mètres carrés de sols recouverts par des passerelles, des ascenseurs, des galeries souterraines, des escalators, jusqu’au métro, jusqu’à l’aéroport qui les interconnecte encore, sans que jamais mon pied ne foule le vrai sol, sans interrompre une seule fois le rythme régulier du roulement de ma valise sur les joints du dallage, aux millions de mètres carrés du même dallage, de Kuala Lumpur à Honk Kong, à Paris, à New York, London, Tokyo…Est-ce ça le monument continu ? Une vraie expérience, comme nous promettent les slogans, mais peut être une expérience qui n’a plus rien à me vendre, parce que j’ai déjà tout acheté ?

Partir vers de nouvelles destinations, de nouveaux lifestyles, dans le réseau global des villes artificielles sécurisées dont Singapour est la première des portes. Fuir l’instabilité mondialisée et trouver refuge dans ces oasis de paix social et économique adossée aux actifs immobiliers. Passer, comme les jeunes professionnels urbains singapourien au stade Dubai, Together to Ease Your Life, Doha, Experience Qatar, Brunei, Excellent Leadership and Good Gouvernance for Nationale Prosperity and Stability… du capitalisme.
Expérience et destination. On est toujours dans le far west de quelqu’un. Tous ces flux qui parcourent la planète sans répit. Aller, retour, aller, retour..Se déplace-t-on encore pour partir à la rencontre d’un autre ou d’un ailleurs réel ? Ou seulement en quête de lifestyle experience dans les shoppings malls et les integrated resorts toujours plus ultimate ? Le shopping comme horizon culturel. Le real Estate comme horizon idéologique. L’art comme solution d’interstice. 33.33% finance, 33.33% béton, 33.33% communication. Il reste 0.01% pour tes idées l’architecte. C’est déjà pas mal, non ?

et en bonus, Nouveau Prolétariat à lire ici

issu de l'article de Francois Decoster, Toyo Ito, Vivocity, Singapour in Frog/Numero9 2010

23.9.10



ED RUSCHA



Culture Noir&Blanc et Snapshots
Ed Ruscha aime le rappeler « j’ai grandi dans un univers non coloré » Tous les films, les magazines, les comicbooks qui l’ont fascinés étaient en noir et blanc.
Le voyage initiatique qu’il fait durant sept mois dans 17 pays européens avec sa mère et son frère lui ouvre les portes de la photographie, mais plutôt comme un moyen de documenter ses futures peintures. « La photographie me permet de mettre à plat, en deux dimensions la réalité, ce qui facilite ensuite mon inspiration pour créer mes tableaux ». D’ailleurs, ces photos sont essentiellement des mises en application des techniques qu’il a apprit à l’école. Son œil se promène mais garde une vraie distance face aux mouvements, à l’activité, peu de personnes, justes des choses. Parmis les 450 photos rapportées aucune ne montre la Tour Eiffel, Montmartre ou l’Acropole, et ne s’attachent pas non plus à des sujets données. Elles ne concernent que des curiosités et une « plastique » de scènes ordinaires et de motifs isolés, qui crée un ensemble plutôt vernaculaire. Il ne figure non plus jamais de notes concernant le lieu ou la date, confirmant un anonymat qui témoigne de la volonté de saisir des détails et des impressions « je ne réfléchissais pas, je voyais quelque chose qui semblait avoir de la vitalité, et je le capturais ».

Série, livres, Non style
En revenant de l’Europe, Ruscha commence à trier et regarder ses clichés et change sa façon impulsive de prendre des photos se concentrant sur des séries, tout en gardant l’idée d’une mise à plat de la réalité pour des graphismes futurs. La première d’entre elle « products » concerne les produits de consommations courant, pris dans leur état, c'est-à-dire utilisés, endommagés, des objets trouvés, du ready made. Une démarche toujours aussi passive, mais cette fois locale par laquelle il continu a constituer une sorte de mémoire.
Peu à peu il entame de nouvelles séries, et développe sa passion pour les livres, « pour ces objets finis aux sensations tactiles ». Il publiera 17 livres en 16 ans chacun dédié à une série. Les livres matérialisent petit à petit ces inspirations, et lui permettent d’affiner au fur et à mesure cette idée d’objectivité et du refus d’un quelconque style ou regard par rapport au sujet photographié. Il établi ainsi une trame pour chacun d’eux, où les images se posent sur une grille prédéfini, cherchant une neutralité et une clarté rigoureuse. Et le non style devient petit à petit un style, qu’il archive désormais dans des ouvrages papier.

26 gazoline stations & 34 parking lots
« J’ai eu la vision d’être un grand reporter quand je fis la série sur les stations essences. Je faisais l’aller-retour Oklahoma-Los Angeles cinq ou six fois par an, et je voyais tout ces territoires en friche en me disant que quelqu’un devrait surement rapporter de leurs nouvelles en ville. Prendre les stations essences, unique repère dans ces paysages désert, toujours de la même façon, était pour moi la voie la plus direct de ramener ces nouvelles, la façon la plus simple de prendre les faits. Ce n’était juste qu’un manuel, comme un manuel d’instructions, pour les gens qui voulaient en savoir plus sur des choses comme cela ».
Toutes les stations ont la même composition, dictée par la même structure de la fonction : garage, magasin, réservoir surplombant et une marque, un logo. Ce qui intéresse Ruscha, outre l’effet cinématique même du snapashot (il roule, il s’arrête, il prend toujours la même photo, il repart) ce sont les petits détails qui ressortent alors, les signes que les compagnies mettent en place pour permettre à leur client de s’identifier. Par cette action répétitive, qui transpire dans toute sa démarche, par cette neutralité qu’il cherche et qu’il explore à travers différentes trames (technique de prise photographique, grilles de ces livres, structures fonctionnelles similaires des bâtiments) il met en exergue les différences, les détails, et les exalte, tout en restant désengagé.
Ce travail conceptuel va prendre un sens encore plus abstrait avec la série 34 parking lots in Los Angeles. Un dimanche matin, lorsque les parkings sont vides, il loue un hélicoptère et un photographe professionnel et survole la ville pendant une heure et demi, donnant des instructions aux photographes prenant les clichés pour lui.
Ces photographies aériennes créer une vision en entonnoir, et une profondeur de champs qui ne peut pas être mesuré ou défini. Dans ces images en particulier, prise du dessus depuis une altitude relativement basse, le point de vue ne génère pas l’illusion de profondeur spatiale, mais suggère plutôt un terrain plat sur une pente oblique. Si l’on revient sur les premières photographies de Ruscha, et notamment cette vue de Venise prise en 1961, on ressent alors avec ces photos de parkings a quel point ces aspirations étaient déjà présente, mais dans un état non contrôlé. Ce qu’il fait avec ce travail aérien, avec le bagage conceptuel qu’il a mis en place, n’est que la prolongation d’une recherche entamé intuitivement 8 ans plus tôt et qui le poursuivra, une mise à plat de la réalité, le jeu des diagonales et des perspectives, et la lente et méticuleuse rationalisation des ces impressions.
et en bonus On the sunset Strip, un dépliant de 9 mètres de long sur lequel sont photographié chaque batiment du Sunset Strip de Los Angeles


Livre.
Ed Ruscha Photographer, Whitney Steidl Editions, 2006
Vidéo.
Ed Ruscha parle de son travail ici
Tracks.
The doors, L.A Woman,

18.9.10


Ne ( presque ) rien faire est ( presque ) très bien
Guy Debord, John Cage & Rem Koolhaas




Quelques domaines sont motivés principalement par le maximalisme, l’architecture en fait parti, se distinguant par son besoin infini de prouver. Le succès dépend du contenu du portfolio, de la taille du projet, du prestige du client, du déluge de publicité et, de la narcissique, compulsive et théâtrale personnalité de l’architecte, pour qui tout n’est jamais assez. L’ambition débridée est la marque de fabrique des prestigieuses agences et écoles d’architecture, ou « rentrer à la maison » est considéré comme renoncer. Pour n’importe qui espérant échapper la corvée de répondre basiquement à la demande programmatique du client, dormir en dessous son bureau est parfaitement normal. Pour devenir un architecte pensant, créatif il ne suffit pas seulement d’être capable de faire n’importe quoi, il faut aussi le faire. Travail, travail, travail, c’est le mot d’ordre.

Face à ce déluge d’énergie, plus rien ne doit être laissé au hasard, l’architecte tente de tout contrôler et ce qui compte est de poser un univers total.. Tout doit être complètement travaillé, ne laissant ni questions ouvertes, ni le moindre trou non rempli. Basé sur une totale refonte, l'architecture tente une retouche de la réalité plutôt que l’addition de subtiles touches. Elle veut toujours des stratégies, alors que les tactiques sont souvent de meilleures solutions.

Pour une grande partie de l’architecture contemporaine, le dossier de concours semble représenter la condition unique. Il est vu comme un cadre de travail qui défini autoritairement là ou le projet doit aller, c’est la mission qu’il faut remplir sans questionner la mission plus que cela. En adoptant cette relation au programme, l’architecture se met fatalement au dépend de sa qualité. Si le programme est maladroitement défini, ce qui est souvent le cas avec les compétitions, alors la réponse architecturale à la question posée ne peut pas être beaucoup plus intelligente. Le programme n’est pas une donnée ultime, mais un matériel visant à être traité, réfléchi, testé, questionné et si nécessaire, redéfini.

Cet acte de réinterroger la question peut causer aux architectes une variété de conclusions radicales. Une d’entre elle peut être de rejeter le projet.
Il y a par exemple ce fameux épisode concernant l’architecte Cédric Price et le couple marié qui lui ont demandé de construire une maison. Lorsqu’ils ont commencé à expliquer ce qu’ils désiraient, ils ont eu une dispute, marquant évidemment leurs différents désirs et concepts à propos de la maison. Finalement Price les a interrompu, et leur a dit que ce dont ils avaient besoin n’étaient pas d’un architecte, mais d’un avocat, et a rejeté la commande. Même si Price n’a pas fait le projet, il n’a pas clairement rien fait. Il a fait une proposition dans l’urgence concernant ses clients pour les mettre devant le fait que le vrai problème n’était pas de construire une maison, mais de reconstruire leur relation. Ce qui est un refus constructif.


C’est aussi le cas quand le projet refuse de se matérialiser en tant qu’œuvre, comme la fameuse composition de John Cage appelé 4’33’ qui consiste en un pianiste assis au piano et ne jouant pas pendant exactement 4 minutes 33 secondes. Ce n’est évidemment pas rien, et cela devient un scénario vraiment dense. Le public commence à se demander ce qu’il se passe et pourquoi le musicien ne commence pas à jouer. Pour compenser l’insupportable silence, les spectateurs commencent à émettre des bruits furtifs, raclant leurs gorge, gesticulant nerveusement.. C’est seulement quand le musicien se lève et quitte la scène que l’auditorium réalise soudainement que la performance pour laquelle il était venu et qu’il attendait impatiemment venaient de se terminer.

Ce qu’il aurait pu apparaître au premier moment comme une annihilation de la musique prouve bientôt le contraire. En l’empêchant la musique de jouer, Cage donne la possibilité a l’audience d’écouter le son du silence, et par conséquent, dans la même voie que Beuys élargit la notion du travail de l’art, il élargit radicalement la notion de la musique en éliminant la distinction entre le son et le bruit. La suspension d’une action qui est attendu peut induire quelque chose substantiel à produire. Il pourrait être intéressant que l’architecture puisse se réserver ce droit de prendre d’avantage cette forme d’action inversé.



Textes .
L'abolition du travail en tant qu'aliénation et activité séparée de la vie qui va, Guy Debord
Doing (almost) nothing is (almost) all right, Ole Bouman
Reprogramming architecture, Ilka&Andreas Ruby
Bigness, Rem Koolhass



11.6.10

WK/NY

(William Klein / New York)

"Sur les planches de Brighton Beach, l’ennemi public n°25001, avec sa poule, morte de peur."

En 1954, après six ans de recherches picturales à Paris, notamment dans l’atelier de Fernand Léger, William Klein retourne à New York et s’embarque dans une guerilla compliquée d’amour et de haine avec sa ville natale. Moitié étranger distancié, moitié indigène révolté, il crée un journal photographique décapant. Il explore et catalogue comme ne l’avait fiat aucun photographe avant lui la métropole de l’absurde : foules abruties, défilés débiles, violences normalisée, folle accumulation de débris urbains, murs couverts de messages Dada. Il rejette l’obsession du moment d’objectivité et de non intervention et change le rapport entre photographe et sujet, jongle avec la photographie d’amateur, le reportage et la photo posée. Il emploi du film ultra-rapide, le grand angle, des cadrages et des méthodes de tirages inhabituels, arrive à libérer l’appareil 35mm tout en transformant accident, grain contraste, déformation abstraction, en un nouveau langage visuel.

"Ebbets Fields, Brooklyn. Double header : deux matches de baseball pour le prix d’un, des revers à manger de la tarte, trois hots dogs, une bière, une feuille de score et un éventail de 50 réactions"

" Un métro sans graffiti et sans joie, des usagers soignés mais peu épanoui, et un mendiant aveugle invisible."

"Des dactylos après le spectacle. Comme dans la chanson de Cole Porter : I see the show, then I go home. J’observe que les cigarettes Tareyton pratiquent une meilleure grammaire. Filters as no single filter can. Scansion iambique, en plus. Si Winston et Tareyton fusionnaient, ils pourraient faire rimer leur slogan : tastes good like a cigarettes should, Filters as no single filter could. Et les mains synchronisées. Et la discussion à l’agence de pub pour décider s’il fallait ou non de la cendre au bout de la cigarette, de quelle longueur, quelle consistance, quelle nuance de gris. Et le bonhomme de neige à oreillette et cache nez, qui pousse le coca. Et les dactylos elles mêmes, les gants, la bague, le bracelet, l’air suspicieux, les coiffures. Tout ce qu’il peut y avoir à digérer en deux secondes. "
"No comment"
"Hanburger à 40 cents"
"Staten Island, le midwest par rapport à Manhattan. Un bon petit patelin. Plus tard Twin Peaks ? Mon ombre en train de braquer l’appareil photo. Celle de ma femme, qui ramène ses cheveux en arrière. "

"Devant un café restaurant de Long Island, dont le message s’affiche sur tous les arbres ou presque. Surréalisme suburbain. " "Un martien de 15 mètres de haut pour célébrer le grand magasin Macy’s. Le défilé de la fête de Thanksgiving en ces temps moins gavés de médias représentait peut être le clou de l’année. On faisait le même battage autour des nouveaux chars et ballons de choc que pour la dernière superproduction hollywoodienne. Toute la ville parlait de cet événement des semaines à l’avance, pas question de manquer ça. Je devais avoir dix ans quand une copine anarchiste m’a annoncé qu’elle comptait s’armer de fléchettes pour faire péter les ballons. Terrifié j’y suis allé sans elle, m’attendant sans arrêt à entendre d’affreuses explosions. "

""Coin 40e rue et 2éme Avenue. Tout est là. Les milliards, les sous, la grandeur, la dégradation, l’idéologie et la communication. Centre droit, le Chrysler Building, deuxième plus grand des gratte-ciel, extrême droite, celui du Daily News, des immeubles miteux, le logo des téléphones Ma Bell, le SO d’Esso, une pancarte peint à la main qui offre le parking du week-end au prix d’ami de 75cents et, en bas à droite, une affiche de Radio Free Europe : « Combattez le communisme avec les dollars de la vérité ». A mes yeux, c’était le signe de ponctuation pour ce bric-à-brac de paysage urbain – et une farce. Mais après tout, ce n’était pas si ridicule d’imaginer que Louis Armstrong et Sinatra pouvaient contribuer à faire s’écrouler les murs."

"Le métro aérien, à hauteur des yeux. Des dizaines de kilomètres de voie ferrée urbaine au niveau du premier étage. Imaginez vous ce que c’est de grandir, de vivre, de mourir avec ces trains antiques bringuebalants sous le nez. Au passage, j’essayais de déchiffrer par la fenêtre le film accélèré de la vie dans les logements aux murs verts sous l’ampoule nue. "

Textes&Photos : William Klein, New York 1954/1955, édition Marval

Pour ceux qui souhaiteraient en savoir plus sur le travail de Klein, voici deux liens provenant de l'excellent American Suburb X
ici une vidéo de la série Contacts où ils parlent de son travail
et là une interview de "Mister Freedom"


7.6.10

BM

(Bardi Museu)
"La beauté en elle même n'est pas quelque chose qui existe réellement. Cela existe durant une periode historique, et ensuite les modes changent et cela devient quelque chose de mauvais. Pour le musée de São Paulo j'ai seulement essayer d'assumer certaines positions. Je ne cherchais pas la beauté. Je voulais la liberté. Les intellectuels n'ont jamais aimé ça, mais les gens disaient : vous savez qui a construit ca? C'est une femme!!..."


Museu De Arte de Sao Paulo, Lina Bo Bardi architecte, 1968